Alimenter en eau un canal à seuil de partage aussi long que celui du canal du Midi demande une certaine technique et de solides connaissances hydrauliques. Grâce à des études poussées et de nombreuses expérimentations, Pierre-Paul Riquet se distingue de ses prédécesseurs et apporte des solutions ingénieuses.
350 après sa conception, le système pensé par Riquet reste un chef d’œuvre de génie hydraulique !
Pour alimenter un canal à seuil de partage comme le canal du Midi, il est nécessaire de mobiliser des ressources en eau. Celles-ci doivent être positionnées à une altitude supérieure au point culminant de la voie navigable.
Tous les projets antérieurs de canal se heurtent à cet épineux problème, sans toutefois y répondre. En effet, ils ciblent les grands cours d’eau descendants des Pyrénées (la Garonne et l’Ariège) pour assurer l’alimentation en eau du canal.
Si la solution paraît viable, l’acheminement de l’eau collectée au col de Naurouze, point culminant du canal situé à 189 mètres d’altitude, se révèle difficile. Les projets sont abandonnés car techniquement irréalisables ou extrêmement coûteux.
Dans les années 1650, deux personnages envisagent le rôle majeur que peuvent jouer les petites rivières de la Montagne Noire, massif situé en contrefort du massif central. Vous vous en doutez, l’un deux est Pierre-Paul Riquet ! L’autre s’appelle Thomas de Scorbiac.
Tous deux voient un avantage à la Montagne Noire : son relief est moins prononcé que celui des Pyrénées et ses cours d’eau moins denses ! Voilà qui devrait grandement faciliter l’acheminement de l’eau…
Scorbiac et Riquet, instruits des projets antérieurs, envisagent tous deux de se servir des eaux du Sor. Mais le génie ne Riquet ne s’arrête pas là et il soumet une proposition bien plus complète que celle de Scorbiac.
En effet, loin de se satisfaire des débits offerts par le Sor, Riquet compte également détourner les rivières du versant méditerranéen de la Montagne Noire. Ainsi, dans son étude, les eaux du Rieutort, du Lampy, de la Bernassonne et de l’Alzeau peuvent être facilement détournées et conduites par une rigole artificielle dans la vallée du Sor, sur le versant océanique.
De 1648 à 1660, Riquet et sa famille sont installés à Revel. C’est sans doute à ce moment-là que Riquet explore la Montagne Noire toute proche.
S’il se murmure qu’il aurait chevauché sur les chemins noirs en compagnie du fils du fontainier de Revel, une autre théorie semble plus plausible.
Dans le parc de son château de Bonrepos, près de Toulouse, Riquet met à l’étude ses projets hydrauliques. A l’aide de bassins, encore présents sur l’aire du domaine, il réalise de nombreux « essais en petit de la grande entreprise ».
Se lancer dans un projet aussi titanesque et coûteux que celui du canal du Midi sans l’éprouver à l’aide de maquettes relèverait de la pure folie, vous en conviendrez ! Et Riquet n’est pas homme à risquer son honneur ; voilà pourquoi il s’adonne à des études minutieuses. L’ingéniosité des solutions trouvées par Riquet et la complexité de la topographie du système d’alimentation font du canal du Midi un chef-d’œuvre d’ingénierie hydraulique.
Le projet présenté par Riquet à Colbert dans le mémoire qu’il lui remet le 15 novembre 1662 est basé sur la création de deux sections de rigole :
- La rigole de la Montagne : à une altitude supérieure à 500 mètres, elle permet de détourner les eaux du versant méditerranéen de la Montagne Noire, depuis l’Alzeau jusqu’au Conquet.
- La rigole de la Plaine : après avoir franchi la ligne de partage des eaux entre les versants méditerranéen et atlantique, les eaux sont jetées dans la vallée du Sor. Elles seront captées à nouveau sur le Sor en amont de Revel et conduites au seuil de partage des eaux.
Afin de palier la baisse des eaux en été, Riquet envisage la construction d’une dizaine de petits réservoirs. Riquet les nomme magasins d’eau ou aussi bassins de provision.
Finalement, ces petits bassins de provision sont remplacés par un seul et grand réservoir placé sur la rivière Laudot, affluent du Sor, sur le site de Saint-Ferréol.
Plan géométrique de la rigole, carte d'Andréossy, 1666
Colbert est séduit par le projet de Riquet. Il sait que la construction d’un tel canal assurera la puissance économique de la France en particulier à l’égard de l’Espagne. Louis XIV nomme alors une commission d’experts chargée d’étudier la faisabilité du projet.
Si la commission émet un avis favorable quant à la faisabilité du projet, quelques doutes subsistent : est-il possible de conduire les eaux de l’Alzeau au seuil de Naurouze, point culminant du canal ?
Riquet, bien décidé à emporter la décision du Ministre en démontrant la viabilité de son projet, propose de construire, à ses frais une rigole d’essai. En juillet 1665, ses terrassiers commencent à creuser un petit canal. En octobre, les eaux prélevées sur l’Alzeau s’écoulent à Naurouze. Le pari de Riquet est gagné. Il reste aujourd’hui quelques vestiges de cette rigole d’essai, aménagée à une altitude légèrement supérieure à celle qui alimente aujourd’hui le canal.
Début des travaux en Montagne Noire avec la construction des rigoles de la montagne et de la plaine. En avril de la même année, la première pierre du barrage de Saint-Ferréol est posée
Riquet fait naviguer des barques sur la rigole de la plaine
Le système d’alimentation est opérationnel et les premiers essais de navigation sont effectués entre Naurouze et Toulouse. Le barrage de Saint-Ferréol est mis en eau pour la première fois mais il faut attendre 1680 pour qu’il soit achevé.
Le barrage de Saint-Férréol est surélevé ce qui permet d’accroître sa réserve en eau. Pour en assurer le remplissage, la rigole de la montagne est prolongée de cinq kilomètres du Conquet aux Cammazes où, franchissant une ligne de crête par un tunnel, l’eau dévale à la source du Laudot.
Le système d’alimentation de la Montagne Noire est complété par la construction d’un nouveau réservoir sur la rivière Lampy qui permet d’alimenter les canaux de Jonction et de la Robine de Narbonne.
Ce système s’est encore complexifié après 1950 par la construction de nouveaux réservoirs destinés à la production d’eau potable et à l’irrigation agricole. Ces réservoirs sont en effet connectés hydrauliquement au système d’alimentation du canal du Midi.
Plus de 350 ans après sa conception, le système d’eau conçu par Riquet est pleinement intégré à un vaste réseau où circule l’eau pour des besoins divers et variés !
La rigole de la Montagne, située entre 650 et 550 mètres d’altitude, collecte les eaux sur le versant méditerranéen de la Montagne Noire.
Née des ruisseaux du versant sud de la montagne, la rigole de la Montagne bascule dans un cours d'eau du versant nord « le Sor » au hameau du Conquet au lieu-dit « le saut du Sor ». Le Sor, une fois gonflé des eaux de la rigole est dévié dans la rigole de la plaine au niveau de la ville de Sorèze pour alimenter la ville de Revel et le seuil de Naurouze.
En 1689, Vauban améliore le canal et son système d’alimentation. Il relie la rigole de la Montagne au ruisseau du Laudot par un cheminement souterrain appelé « la voûte Vauban » sur l'actuelle commune des Cammazes.
Le réservoir de Saint-Ferréol, situé à 350 mètres d’altitude permet de conserver 6 300 000 m3 d’eau !
Ce lac-réservoir unique sert à l’alimentation du canal dans les périodes sèches.
Alimenté par le ruisseau du Laudot, le lac réservoir de Saint-Ferréol rejoint la rigole de la plaine pour l'alimenter si besoin au niveau du lieu-dit « les Thoumazés ».
Le saviez-vous ?
Au XIXème siècle, un jardin d'agrément est construit au pied du barrage avec comme point d'orgue, un jet d'eau alimenté par les eaux du réservoir. Cette gerbe d’eau ainsi qu’une cascade constituent encore aujourd’hui un attrait de ce site.
La rigole de la plaine (de 245 à 189 mètres d’altitude) permet d’acheminer l’eau du réservoir jusqu’au seuil de Naurouze.
Elle commence à Pont-Crouzet et draine les eaux du Sor, puis du Laudot pour les amener jusqu’à Naurouze. La longueur totale de la rigole de la Plaine est de 38,120 km, pour une largeur moyenne de 2m.
En amont, une seconde rigole mène ensuite l'eau jusqu'au point culminant du canal du Midi au seuil de Naurouze. Ce point de partage permet de déverser l'eau en se servant de la gravité puisqu’elle redescend à l'ouest vers Toulouse et à l'est vers la Méditerranée.
Après 5 ans de travaux, en 1672, le système est presque achevé. L’eau de la Montagne Noire est conduite à Naurouze, le seuil de partage des eaux du canal.
(1) Prise d'eau d’Alzeau.
(2) Lampy : L'ingénieur Garripuy réalise le barrage du Lampy neuf (réservoir de 1.6 millions de m3) en amont de l'ancien Lampy vieux qui avait disparu, afin d’accroître la réserve d'eau. Ce 2e réservoir est réalisé en 1782 pour alimenter le canal de jonction qui relie le canal du Midi avec le canal de la Robine de Narbonne, ouvrant un second débouché sur la mer.
(3) Le Conquet : Passage du versant Méditerranéen au versant Atlantique. Une vanne permet de doser le débit de la rigole de la montagne, l'excédent est dirigé vers le Sor.
(4) Barrage des Cammazes sur le Sor, construit en 1956 par l’Institution Interdépartementale d’Aménagement Hydraulique de la Montagne Noire. Sa capacité de stockage est de 20 Mm3. Il est alimenté par le Sor et par la rigole au déversoir du Conquet. VNF dispose par décret de droits d’eau dans le barrage des Cammazes pour l’alimentation du canal du Midi. Sa vocation principale est d’assurer une réserve d’eau pour la consommation des populations et l’irrigation des cultures.
(5) Les Cammazes : Voute de Vauban ou des Cammazes : tunnel creusé sous la direction de Vauban. Il permet à la Rigole de la Montagne d'atteindre le ruisseau du Laudot sur un autre versant.
(6) Bassin de Saint-Ferréol alimenté par le Laudot, lui-même augmenté des eaux de la Rigole de la Montagne.
(7) Pont Crouzet, au pied de la Montagne Noire : captage des eaux du Sor.
(8) Les Thoumasés : La rigole de la plaine et le ruisseau Laudot se rejoignent. Un épanchoir permet d'évacuer l'excédent dans le Laudot, vers le versant Atlantique. L'eau nécessaire à l'alimentation du Canal du Midi est dirigée dans la Rigole de la Plaine qui va sur le versant Méditerranéen.
(9) Seuil de Naurouze : C’est le point le plus élevé du canal sur son parcours. La rigole de la Plaine se déverse dans le Canal du Midi.
Le réseau de la Montagne Noire alimente en eau la section du canal du Midi entre Toulouse (Ponts-Jumeaux) et Carcassonne (écluse de Villedubert), soit sur une distance de 109 km (52 km pour chacun des versants et 5 km du bief de partage). La capacité totale des biefs est de 3,65 Mm3.
Il est à noter que les rigoles de la Montagne Noire ne constituent pas la seule source d’alimentation du canal. Vous vous en doutez, celle-ci serait en effet insuffisante compte tenu des besoins en eau du tronçon en direction de la Méditerranée (en aval de Carcassonne).
Quatre prises d’eau complémentaires en rivière permettent d’alimenter le canal de Carcassonne jusqu’à Béziers (99 km) ainsi que le canal de jonction (5 km).
La capacité des biefs est de 3,3 Mm3, pour cette partie du canal du Midi et 0,165 Mm3 pour le canal de jonction.
- la prise d’eau de Lachaux sur le Fresquel à Villemoustoussou , aujourd’hui abandonnée.
- la prise d’eau de Villedubert sur l’Aude, à Villedubert
- la prise d’eau de l’Orbiel sur la rivière Orbiel à Trèbes
- la prise d’eau de Cesse, sur la rivière Cesse à Mirepeisset
Ces prises d’eau viennent compléter le système d’alimentation :
La prise d’eau du barrage du Pont-Rouge à Béziers
Située en rive gauche de l’Orb, elle assure le complément d’alimentation du canal à partir de Béziers.
La prise d’eau d’Agde à l’écluse de Prades
Située en rive gauche du fleuve Hérault, elle donne de l’eau pour la partie de Agde à l’Etang de Thau.
La prise d’eau de Moussoulens
Située en rive droite de l’Aude, elle alimente le canal de La Robine.
Un site géré par Voies navigables de France en lien avec les membres de l’Entente
pour le canal du Midi et leurs opérateurs touristiques